Aïssa Dione est une vraie référence dans son domaine. Cette entrepreneure franco-sénégalaise est une artiste de talent qui s’est formée aux Beaux-Arts à Paris. Peintre, designer, styliste, galeriste… C’est une véritable touche à tout. Son identité culturelle riche lui a permis d’avoir une vision unique de son art. Sa plus belle histoire entrepreneuriale débute quand elle tombe sous le charme du pagne tissé dont le savoir-faire était jusqu’alors précieusement gardé dans les familles de tisserands en Casamance, au Sénégal. Un tissu ancestral qui était alors en disparition, et que Aïssa se jurera de mettre en lumière au niveau international.
C’est à l’âge de 20 ans qu’elle arrive au Sénégal, pour retrouver son père, le champion de boxe Idrissa Dione. Elle tombera alors amoureuse de ce beau pays dont elle ne repartira jamais. En quête de repères, elle découvrira alors en Dakar une ville qui répond à son besoin de vivre et d’exprimer son art. Nous sommes en 1975, et Dakar vit en quelque sorte son “âge d’or”. Le premier Festival mondial des arts nègres (1966) marqué les esprits. Senghor, véritable amoureux de la poésie et de l’art, initie de beaux projets qui feront de Dakar la ville culturelle par excellence en Afrique de l’Ouest. Il conçoit un village artisanal, édifie le théâtre Daniel Sorano, le Musée dynamique.
Aïssa habite alors sur la mythique île de Gorée, symbole de plusieurs siècles de souffrances et de luttes. Entourée d’artistes et de poètes, elle peint des tableaux et des batiks qui la rendront célèbre. Mais sa carrière prendra un tournant lorsqu’elle s’amourachera des pagnes tissés, dont le secret de fabrication était transmis de génération en génération dans des familles manjacks (ethnie sénégalaise) en Casamance. Un métier alors réservé aux hommes dont elle fera son gagne-pain. En 1985, consciente que ce savoir-faire unique commençait à se perdre et que le pagne tissé était assez méconnu, Aissa décide d’en faire son combat.
Avec peu d’expérience dans le domaine, elle réussit malgré tout la même année à gagner un client de taille en la personne de Pierre Babacar Kama, grand patron des Industries chimiques du Sénégal (ICS). Alors qu’elle lui proposait des tableaux, ce dernier lui explique qu’il souhaitait plutôt donner un nouveau style à ses bureaux. Faisant preuve d’audace, Aissa lui promet qu’elle sera capable de s’en occuper. En quelques mois, tous les fauteuils et meubles du siège d’ICS étaient refaits. L’homme d’affaires était très satisfait et la jeune peintre était enfin certaine d’avoir trouvé sa voie.
Avec l’aide du tisserand de sa grand-mère, elle apprend le secret de fabrication puis crée un atelier avec un groupe de tisserands manjacks. Grâce à l’appui de ces derniers, elle va réussir à faire passer la largeur du métier à tisser traditionnel d’abord de 15 à 90 cm, puis à 140 cm et fait l’acquisition de quelques anciens métiers mécaniques. Son entreprise ADT (Aïssa Dione Tissus) créée en 1992, elle se donne pour mission d’offrir un avenir plus radieux au pagne tissé.
Aissa expérimente de nombreux types de teintures pour concevoir une palette riche et variée. Elle sélectionne son coton et y ajoute du raphia, de l’abaca et d’autres fibres. Elle revisite les motifs traditionnels en mettant à profit son talent de designer. Aissa dessine du mobilier qui marie ses tissus à de belles essences de bois. Son showroom avenue Sarraut à Dakar attire la clientèle locale et expatriée. Sa collection de tissus destinés à l’ameublement, à la décoration et à la petite maroquinerie arbore des noms évocateurs : Oubangui, Sahara, Ferlo, Bakel, Gao ou Peignes.
Au niveau international, c’est un succès. Elle collabore avec de prestigieuses maisons telles que Moroso ou Hermès et réalise des textiles sur mesure pour Serge Lutens et Andrée Putman. Les plus grands décorateurs d’intérieur au monde s’arrachent ses tissus pour leurs projets en Europe, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud : Christian Liaigre, Jacques Grange, David Champion, Fendi Casa, etc. Elle expose à Tokyo, à Zurich, à Paris, au SIAO de Ouagadougou, chez Takiyama à New York, à la galerie Mam à Douala… Les tissus sont vendus dans des boutiques de Paris, New York, Tokyo ou Londres. À Dakar, de prestigieux hôtels lui font confiance pour redécorer leur intérieur.
Aujourd’hui, Aïssa Dione Tissus réalise des millions d’euros de chiffre d’affaires et compte près d’une centaine d’employés, en grande partie spécialisés dans le tissage, mais aussi la menuiserie, la sculpture sur bois, la confection et la broderie. Fidèle à ses valeurs, Aïssa œuvre pour la valorisation du coton, des savoir-faire locaux, et une génération de nouveaux produits textiles qui puissent représenter une alternative aux produits importés dans un domaine peu exploité jusque-là en Afrique de l’Ouest, l’ameublement et la décoration. Cherchant toujours à relier art, artisanat et industrie, elle est également très engagée dans la promotion de l’art africain contemporain : Aissa Dione Tissus dispose de sa propre galerie et a participé à plusieurs projets en Afrique de l’Ouest, dont la Biennale des arts de Dakar.
Aissa Dione, c’est très certainement l’une des plus belles success story d’Afrique. L’histoire d’une femme engagée qui aura dédié sa vie à un combat noble : mettre en valeur la culture et les traditions de son cher Sénégal. Cette femme inspirante aura cru dur comme fer en un savoir-faire ancestral qui était pourtant promis à une mort certaine. Là où d’autres ont douté, elle a cru et s’est lancée en ignorant toute possibilité d’échec. Un parcours admirable pour une entrepreneure qui représente aujourd’hui un monument dans son domaine.
Tel : 00(221) 33 825 66 60
Email : aissadione@orange.sn
Crédits : ForbesAfrique / Jeune Afrique